Harry Pross, l’une des grandes figures de la vie intellectuelle des premières décennies de la République Fédérale d‘Allemagne, vient de nous quitter le 11 mars 2010. Né le 2 septembre 1923 dans une famille d’industriels de Karlsruhe, il grandit dans une atmosphère libérale. Grièvement blessé sur le front roumain en 1944, il entama en 1945 des études de sociologie à Heidelberg, où il fréquenta de grands esprits antinazis, le sociologue Alfred Weber, frère de Max Weber, le philosophe Karl Jaspers ou le juriste Gustav Radbruch.
Après avoir soutenu un doctorat sur les ligues de jeunesse en 1949, il séjourna aux Etats-Unis grâce à une bourse de recherche et travailla comme auteur et journaliste durant les années 1950. De 1963 à 1968 il dirigea Radio Brême, impulsant une ouverture intellectuelle et politique qui annonçait le tournant pris par l’Allemagne en 1969, lorsque l’ancien émigré politique Willy Brandt devint chancelier. Nommé professeur de communication en 1968 à l’Université libre de Berlin, il prit une retraite anticipée en 1983 pour mieux se consacrer à son œuvre.
Infatigable auteur, Harry Pross laisse en effet une impressionnante liste de publications, plus de vingt ouvrages, des centaines de textes publiés en Allemagne et à l’étranger dans un grand nombre de revues et d’ouvrages collectifs. Nous retiendrons trois livres maintenant classiques, une anthologie des grands textes politiques allemands de 1806 à 1933, notamment le 2e tome La Destruction de la politique allemande (1959), une histoire du mouvement de jeunesse allemand (Jugend Eros Politik, 1964) et une belle synthèse sur l’histoire de la presse allemande au XXe siècle (Zeitungsreport, 2000). Harry Pross a laissé des mémoires de grande qualité (Memoiren eines Inländers, 1993). L’un de ses derniers livres était un
Eloge de l’anarchie (Lob der Anarchie, 2003), un hommage rendu aux grands contestataires allemands et européens, de Heinrich Heine à Gustav Landauer et Martin Buber, de Tolstoï à Albert Camus. Harry Pross avait participé au colloque organisé en 1994 par le CERAAC «France-Allemagne. De Faust à l’université de masse» (Chroniques allemandes n° 4). Il écrivait ces phrases cruellement actuelles: «Les mesures politiques restrictives qui frappent l’Enseignement supérieur semblent trahir un échec : elles se fondent toujours sur la demande de la société.« La demande »voilà une catégorie dont le contenu correspond à la manipulation de besoins individuels.» Retiré dans sa belle ferme des Alpes de l’Allgäu, un lieu qu’il avait choisi d’habiter dès la fin des années 1950, Harry Pross organisa de 1983 à 1994 des séminaires annuels dans son village de Weiler, attirant ses illustres amis, Lev Kopelev, Abraham Moles ou Villem Flusser. Durant ces dernières années, il observait avec un scepticisme mêlé de pessimisme les évolutions actuelles, une humanité de plus en plus privée de la libre disposition de son temps, de son corps et de son esprit et de la possibilité d’intervenir dans le débat public — malgré internet et les réseaux sociaux.
A sa veuve Marianne, à toute sa famille, au nom du CERAAC, nous présentons l’expression de notre profonde compassion.